exé – Usine d’incinération

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Rungis Chaufferie UIOM Rollet

Article paru dans exé n°33, 2018,par Nadège Mevel sur le projet UIOM Rungis

 

RÉNOVATION DE L’USINE D’INCINÉRATION DES ORDURES MÉNAGÈRES DU MARCHÉ INTERNATIONAL DE RUNGIS PAR BRUNO ROLLET

 #RÉNOVATION | #AMÉNAGEMENTS PAYSAGERS

Rédigé par  Nadège Mevel| Publié le 17/10/2018

L’architecture se mérite-t-elle ? Tel programme ou tel site est-il plus digne qu’un autre d’être doté de propos formels ou urbains dédiés ? C’est à cela que répond Bruno Rollet avec la livraison récente de la rénovation de l’usine d’incinération des ordures ménagères du Marché International de Rungis. 

Et si la réponse est bien entendu négative, toutes les caractéristiques de cette singulière commande ne la dotaient pas d’évidence. Un territoire tout d’abord, inhumain dans son échelle et ses flux incessants que des dizaines de milliers de travailleurs occupent. Au sud de Paris, à cheval sur les quatre communes val-de-marnaises de Rungis, Chevilly-Larue, Thiais et Vitry-sur-Seine, il est composé d’un réseau routier monumental entre A106, A86 et RN7 aux multiples échangeurs, de diverses zones industrielles et d’activités, d’un centre commercial régional, du plus grand cimetière parisien extra-muros, de l’aéroport d’Orly et de son pôle d’activités et du marché international.

C’est un dédale dont le seul objectif est l’efficacité absolue des échanges de marchandises. Et dont le MIN de Rungis est un parfait exemple de cet austère fonctionnalisme avec ce grand paysage de hangars plats, sans espace public, sans trottoir et sans espace vert.

Officiellement ouvert en mars 1969 après cinq années de chantier sous la maitrise d’œuvre de George Philippe et Henri Colboc, sa création faisait suite à la décision de fermer le « ventre de Paris » et ses halles Baltard en 1960. Approvisionnés de toute l’Europe par camions, trains et avion, ses 232 hectares dont 47 de bâtiments à usage commercial accueillent aujourd’hui quelques 12 000 salariés et 1 194 entreprises dédiés au commerce des fruits et légumes, des produits carnés, laitiers et de la mer, de l’horticulture et de la décoration. Propriété de l’État, géré par la Semmaris une société d’économie mixte d’aménagement et de gestion, le plus grand marché de produits agricoles du monde alimente les professionnels de la région mais aussi quelques provinciaux et étrangers.

Reléguée en limite sud du site, au bord de l’A86, son usine d’incinération, qui traite 120 000 tonnes de déchets par an, est à l’image de sa fonction, repoussante et dissimulée. Et bien qu’indispensable, le traitement des déchets, « humains » et industriels, reste un sujet difficile à aborder. Il est d’ailleurs partie prenante de l’aménagement de nos villes, constamment repoussé en dehors de celle-ci jusqu’à ce qu’il soit finalement rattrapé par le développement urbain, par le manque de terrain libre. À l’image des cimetières parisiens extra-muros dont l’implantation a profondément marqué l’expansion des communes où ils étaient implantés. Passée par la RIVED, régie personnalisée pour la valorisation et l’exploitation des déchets de la région de Rungis, la commande consistait à remettre aux normes techniques et environnementales le système et à rénover les façades et les abords de l’usine.

Et toute la sensibilité de l’architecte Bruno Rollet été questionnée par l’ambiguïté absolue d’un site entre ville et non-ville, d’un programme entre nécessité et dégout, d’un projet entre architecture et chirurgie esthétique.

Car y-a-t-il acte d’architecture lorsqu’il n’y a que rénovation de l’enveloppe ? Y-a-t-il besoin d’architecture dès lors que le programme est indésirable ? Y-a-t-il valeur architecturale au milieu de nulle part ? « Oui » répond l’architecte pour qui « l’architecture est partout » et d’autant plus sur un tel site qui est « un paysage urbain, vivant, un paysage de métiers, de savoir-faire… » Alors, d’une demande qui ne consistait qu’à rafraichir les peintures, Bruno Rollet s’est emparé afin de donner une nouvelle image à cet équipement communal qui alimente en chauffage tout le marché international ainsi que quelques hangars de l’aéroport d’Orly et plusieurs quartiers des communes voisines.

Les premières usines d’incinération sont apparues aux XIXe siècle pour remplacer les nauséabondes décharges à ciel ouvert. Progressivement améliorées, elles sont aujourd’hui un outil de production de chaleur dont les déchets sont le combustible et dont les résidus, les mâchefers, sont réutilisés en travaux publics ou enfouis. Eu égards à ce « paysage touchant » malgré son caractère purement industriel, Bruno Rollet et l’artiste Céline Langlois ont travaillé avec soin à redéfinir les cinq volumes en présence par un travail de textures et de couleurs, métallique et vibrant, de l’orange vif au vert foncé en passant par le doré et l’argenté.

Entre signal urbain fort et intégration paysagère délicate, il en résulte un édifice à l’échelle redéfinie et perceptible, à l’identité réaffirmée et adoucie, de jour et surtout de nuit, moment où l’activité du marché bat son plein.

Sans renier l’outil ni sa fonction, triste symbole de nos sociétés de consommation jamais rassasiées, l’architecte redonne vie et sérénité à cet estomac dont l’activité perpétuelle n’est stoppée que deux ou trois jours par an pour le curage des deux fours. Pour parfaire la beauté de l’ensemble, il était aussi question d’en réaménager les abords, de les rendre plus fonctionnels, de les mettre à l’échelle du piéton et de ramener un peu de végétation dans cet environnement de bitume et de tôles métalliques ondulées. Et sans chercher non plus à donner l’illusion de la plus belle avenue du monde, les intentions paysagères du projet visent à définir une assise et des cheminements à l’échelle de la rue, faite de places de stationnement, de trottoirs et d’arbres. Définir un tant soit peu d’espace public, avec ses espaces de pause, de rencontres et ses ombres. Et aussi une extension paysagère non dénuée d’humour perchée en haut d’une cheminée désaffectée sauvée de la démolition par les architectes qui l’ont dotée d’une coiffe de lierre d’Irlande que le temps ne manquera pas de rendre exubérante.

Article paru dans exé 33 : structure béton

FICHE TECHNIQUE

PROGRAMME Rénovation et aménagements paysagers de l’usine d’incinération des ordures ménagères du MIN de Rungis

LOCALISATION Rungis (94)

ARCHITECTE Bruno Rollet Architecte

COLLABORATEURS Émeline Pacreau (études), Hugo Trihan (chantier), Céline Langlois (couleurs et jardin)

MANDATAIRE MAÎTRISE D’ŒUVRE Veolia / Generis