Article dans Libération du 23 mai 2013 sur le projet Le Candide à Vitry-Sur-Seine.
Au Candide, logés dans un berceau
Urbanisme. Dans le quartier Balzac de Vitry-sur-Seine se love un nouvel immeuble de 29 logements sociaux. Signé Bruno Rollet, avec potager sur le toit.
Les locataires ont emménagé depuis novembre. (Photo Luc Boegly)
par Anne-Marie Fèvre
publié le 22 mai 2013 à 19h56
(mis à jour le 24 mai 2013 à 10h07)
Dans le quartier Balzac de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), le Candide, récent immeuble de logements sociaux conçu par l’architecte Bruno Rollet, fait écarquiller les yeux. Sa forme est toute en courbes, et il revêt une peau végétale dorée. Une pomme de pin égarée dans le béton, une grande corbeille à balcons ? L’édifice tranche avec la forme angulaire de la barre d’en face. Dans ce grand ensemble datant de 1967, «il fallait dire stop à ces angles droits», affirme l’architecte. «De fausses échelles, la violence des matériaux ont créé ici une non-ville. On était de Balzac, pas de Vitry. Quand l’échelle disparaît, quand l’espace public disparaît, l’humain disparaît.»
On a énormément parlé de ce grand quartier ghetto, quand la jeune Sohane Benziane, 17 ans, a été brûlée vive en 2002, puis quand la dernière barre a été détruite en septembre 2012. Applaudissements ou larmes crève-cœur des habitants, Balzac n’était pas qu’une cité «sensible» violente, on y habitait aussi en hommes, femmes et enfants «sensibles».
Vaste opération. Personne ne pourra gommer une histoire de plus de quarante ans dans les barres ni le meurtre de Sohane. Mais cet ancien grand quartier malmené se reconstruit, dans le cadre d’une vaste opération de l’ANRU (Agence nationale pour le renouvellement urbain). Cette rénovation urbaine (280 millions d’euros) a vu disparaître plus de 600 logements et le double est en cours de reconstruction sur la commune. Là, se côtoieront bientôt locataires et propriétaires dans différents types de bâtiments – accession libre, locatif privé – et différents équipements, dont ce Candide.
S’il se nomme ainsi, c’est qu’il est situé rue Voltaire, un choix du maître d’ouvrage, l’Office public de l’habitat (OPH, organisme HLM) de Vitry-sur-Seine. Ce n’est pas parce l’architecte serait un naïf convaincu qu’un seul immeuble peut transformer un quartier. Mais un peu quand même. «Un autre paysage est à inventer dans ces banlieues qui ont souffert, qui participera au bien-être des gens malgré les complexités sociales et le chômage», dit-t-il.
Enveloppé de balcons en osier tressé faits main et de briques brunes, protégé par un jardin tout autour, ce bâtiment de 29 logements sociaux est composé de deux plots reliés par une petite cour et un hall d’un bleu lagon. Où sont installés un atelier partagé, un local à vélos.
Mais c’est sur le toit que l’on monte très vite, car, originalité du projet, il abrite une serre, grande pièce commune, un potager à partager, un espace de jeux pour les enfants et une éolienne. Un des locataires du rez-de-chaussée, handicapé en fauteuil, relogé au Candide depuis peu, découvre ce panorama avec étonnement : «On peut y venir, demande-t-il ? Ce n’est pas une terrasse privée ? Je n’imaginais pas cela.»
C’est sur ce belvédère que l’on comprend l’intention de l’architecte, la rondeur qu’il a adoptée ici pour recréer du lien avec le grand paysage. «Ce territoire est riche, affirme Rollet, des coteaux de Vitry à la Seine et la Marne, des petites maisons individuelles aux bâtiments industriels, desservis par l’A86, le RER C. Ce territoire est intéressant car il n’est pas fini, pas dessiné, il a une richesse insoupçonnée. Avec cette vue, on sait qu’on habite quelque part.»
Autre importance pour l’architecte, c’est aussi de bien circuler, de se situer à l’intérieur de l’immeuble. Ce sont des couloirs, du même bleu lagon que le hall, et un ascenseur, qui conduisent aux logements tous différents. Dans un 4 pièces d’angle, une jeune famille avec deux enfants n’a pas encore investi tous les espaces lumineux, les loggias, terrasses qui filtrent leur appartement tout en les ouvrant sur Vitry. C’est le petit garçon qui fait le guide, montrant son écran plat dans sa chambre, mais surtout décrivant, en les touchant, les murs, les radiateurs, les fenêtres, comme un petit chat fier de faire le tour de son territoire. Cette famille a encore tout à découvrir de ce bâtiment, surtout comment il a «poussé».
Lauréat du concours d’architecture en 2010 pour Le Candide, Bruno Rollet l’a enrichi grâce à un autre concours, «Bas Carbone», organisé par EDF la même année. Il a pu approfondir des solutions énergétiques économes, afin de rejeter moins de 5 kg de CO2 par mètre carré par an. Les innovations de ce bâtiment basse consommation, offrant un excellent confort thermique, hygrométrique (contrôle de l’humidité) et acoustique, entremêlent différents dispositifs.
Des panneaux photovoltaïques sur la toiture transforment la lumière du soleil en courant électrique converti en courant alternatif, revendu à ERD. L’éolienne permet de remonter l’eau pour arroser le potager, la pompe à chaleur PAC récupère l’énergie des eaux grises, la ventilation naturelle assistée permet de renouveler l’air. Petit détail décoratif : la peau d’osier est ponctuée de lucioles photovoltaïques scintillantes la nuit grâce à la lumière stockée en journée. «Ce n’est pas un laboratoire supertechnologique, cela doit permettre de faire des économies d’énergie à l’OPH et aux habitants. Mais on y vit avant tout, et on partage.»
Démarche. Les locataires ont emménagé depuis novembre 2012, mais le potager n’est toujours pas cultivé. Marc Menier, directeur général des services techniques de l’OPH de Vitry-sur-Seine, explique sa démarche de bailleur : «On ne peut ouvrir cet espace n’importe comment. Dès le départ, on a pensé qu’il pourrait y avoir des familles meneuses. C’est une tradition dans nos bâtiments d’organiser des petits-déjeuners de concertation avec les locataires. C’est ce que nous faisons samedi au Candide. On ne veut pas fixer les règles seuls, mais construire une charte avec eux, en cernant les problèmes de sécurité, de responsabilité. On n’a pas envie d’échouer, il y a là un potentiel nouveau, on veut être un bailleur accompagnateur».
Une démarche que l’architecte trouve très «intéressante». Il y a là «une volonté rare, atypique de prendre du temps, pour que les habitants s’accaparent des espaces communs». Un projet qu’il va suivre de près.
Né en 1961, Bruno Rollet, diplômé de l’école Paris-Belleville en 1989, a fondé son agence en 1991. Discret mais tenace, il est très engagé sur la question du logement en France. Il concourt pour des habitats intergénérationnels à Ivry, participe au projet des 50 000 logements à Bordeaux et est membre d’Action Tank, groupe de réflexion consacré aux démunis.
«L’architecte doit cesser d’être un pion qu’on balade de concours en concours, gagnés ou perdus, déclare Bruno Rollet .On ne doit pas avoir peur de construire autrement pour habiter autrement, d’expérimenter. Nous ne sommes pas comme les hommes politiques qui craignent de ne pas être réélus. Il faut voir ce qui marche, ou pas, il n’y a que comme cela que l’on pourra faire évoluer les normes, les règles, les concours ! On doit réfléchir à ce que seront les écoquartiers dans cinquante ans, parqués comme les grands ensembles dans des périmètres limités coupés de la ville.»
Déjà aimé, le beau Candide fait parler de lui. Curieux, les maîtres d’ouvrage viennent le visiter. Deviendra-t-il un des premiers symboles des changements à Balzac, quartier qui attend de nouveaux arrivants, de l’ouverture, des liens, de la reconnaissance ? Comment va-t-il vieillir, sera-t-il respecté ? L’architecte rêve de le voir évoluer comme un jardin, comme un «extrait de nature, un arbre qui pousse» qui révélera des surprises.