Article paru dans Le Monde, janvier 2016, par Philippe Trétiack sur le projet Le Candide à Vitry-Sur-Seine.
A Vitry-sur-Seine, Le Candide recrée du lien social
A Vitry-sur-Seine, Le Candide recrée du lien social
Ce bâtiment, signé Bruno Rollet, est surplombé d’une serre commune à tous les occupants.
L’architecte Bruno Rollet, qui a soutenu son diplôme en 1989, a fait ses études quand Banlieues 89 carburait à fond sous l’égide de Roland Castro. A son tour, il a beaucoup réfléchi aux cités de banlieue qui font souvent l’actualité. Il est l’auteur d’un projet manifeste livré en 2012 dans la cité Balzac de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne).
Le bâtiment a reçu comme nom de baptême Le Candide parce qu’il est situé rue Voltaire. « Cela vaut mieux que tour H12 ou bâtiment G4, comme cela se voit un peu partout en France », souligne l’architecte. C’est dans cette cité qu’en 2002 Sohane Benziane, 17 ans, avait été brûlée vive par un jeune homme de 19 ans. « L’important quand on est architecte, affirme Bruno Rollet, c’est d’aborder le réel avec modestie. De ne pas montrer ses muscles. » Comprenez, ne pas imposer un projet architectural ébouriffant, comme une aile d’avion posée sur une école, mais au contraire chercher à « recoudre » l’existant.
La méthode Rollet consiste à retrouver le paysage local, celui d’avant la construction de la cité. A Vitry, autrefois, une rivière coulait entre des champs, de petites usines étaient implantées sur ses bords. A l’architecte de bâtir une mémoire pour l’offrir aux habitants et les réunir. Le paysage est tout à la fois physique et mental, constitué d’une histoire longue, mais aussi du déracinement de ceux qui sont venus l’habiter. A Vitry, Bruno Rollet a proposé aux habitants logés dans ces appartements neufs une serre installée sur le toit et commune à tous. Un lopin de terre à cultiver pour faire du bâtiment un extrait de nature, un petit bout de campagne, voire un belvédère accessible aux gens de l’immeuble.
L’intention était belle, mais les habitants ont eu du mal à l’accepter. « L’idée d’avoir un espace en plus pour le même loyer, personne n’arrive à le croire, observe l’architecte. Pour l’heure, seules trois familles sur vingt-neuf jardinent, mais cette serre est encore utilisée par le bailleur, l’office HLM, pour que les voisins fassent connaissance. Ce qui compte, finalement, c’est que les habitants soient heureux dans leur logement, heureux quand ils ouvrent leurs fenêtres. »
Pour cela, l’architecte a conçu un système de filtre en osier tressé qui transforme les balcons en espaces ouverts sur l’extérieur, mais protecteurs. Il a dessiné, au rez-de-chaussée, de petits jardins, protégés par une haie plantée qui renforce l’intimité des logements. Désormais, les gens ne se calfeutrent plus, ne se tournent plus le dos, barre contre barre. Mieux, les locataires des autres barres, des monstres de 90 mètres de long sur 45 de large, sont attirés par cette construction aux angles volontairement arrondis, composée de briques moulées à la main, plus accueillantes, « presque molles ». La teinte retenue pour les façades évoque encore la nature qui, souligne Bruno Rollet, « n’a pas besoin d’être verte pour être perçue comme telle ».
Certains ont décrit Le Candide comme une pomme de pin, d’autres comme une colline habitée. Une réussite ? Impossible de le savoir, selon l’architecte. « Même si cela fonctionne pour 29 logements, qui dit que cela fonctionnera pour 120 ? » Pourtant, il est prêt à relever le défi de la grande échelle. « Nous avons passé plusieurs années sur cette cité, car nous savions que nous devions absolument réussir cette expérience. Elle a coûté un peu d’argent et nécessité une somme de travail considérable, mais l’enjeu l’exigeait. Car le drame des banlieues c’est le nôtre. C’est être citoyen que d’être architecte de cette façon-là. »
Philippe Trétiack